Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus extrême, la vie réelle patriarcale s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd. Les femmes, ces rêveuses définitives, de jour en jour plus mécontentes de leur sort, font avec peine le tour des concessions et arrangements dont elles ont été amenées à faire usage. Elles savent quels choix elles ont fait - si elles savent en faire -, quels assassins ont côtoyé Aliénor ; les Mistrals gagnants ou les canards dandinants ne leurs sont de rien, et quant à l’approbation de la morale et du bon goût, elles s’en passent aisément, s’en remettent à Cméristina Cordula et récusent la jupe de randonnée. Si elles gardent quelque lucidité, malgré la crème solaire venant altérer leur vue, elles ne peuvent que se retourner alors vers la sororité. Désir ou amour, là, l’absence de toute rigueur sociétale connue leur laissent la perspective de plusieurs vies menées à la fois ; nourries au cervelas, transportées telles un drône par leurs lectures, elles tricotent le fil mohair qui relie les femmes par delà les vallées, par delà les frontières et les vignettes autoroutières. Elles s’enracinent dans cette illusion ; elles ne veulent plus connaître que le bonheur momentané, extrême, de toutes choses. Elles faisaient trembler tous les villages, les gens disaient : Méfie-toi d’ces filles-là.
Ce n’est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de la sororité. La sororité, telle que nous l’envisageons, déclare assez notre non-conformisme absolu pour qu’il ne puisse être question de la traduire, au procès du monde réel de la vallée masculine patriarcale, comme témoin à décharge. Elle ne saurait, au contraire, justifier que de l’état complet de révolte auquel nous espérons bien parvenir ici-haut. La distraction du panoptique chez Foucault, la distraction « du dernier mot » chez Foucault, la distraction des sardines chez Sébastien sont à cet égard profondément symptomatiques. Ce monde n’est que très relativement à la mesure de la pensée féministe et les incidents masculins de ce genre ne sont que les épisodes jusqu’ici les plus marquants d’une guerre d’indépendance à laquelle nous nous faisons gloire de participer. La sororité est le « rayon invisible » qui nous permettra un jour de l’emporter sur nos adversaires. « Tu ne trembles plus, cervelas. » Cet été les rhododendrons des alpages sont bleus; le bois du chalet c’est du verre. L’alpage drapé dans sa verdure nous fait autant d’effet qu’un enlèvement de mariage gitan. C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires, un voyage sur la voie cruelle. L’existence est ailleurs.
D'après le Manifeste du surréalisme d'André Breton (1925)